Page 22 - Extrait du livre Le Patron avant tout - Rou'hama Shain
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22 d Le pincement sur la joue
étaler mes problèmes… Sa sagesse saurait y mettre de l’ordre et
les résoudre… J’éclatai en sanglots.
En revenant de la yechiva, Moché me trouva les yeux gonflés.
« Que se passe-t-il ? » demanda-t-il, inquiet.
- Moché, j’ai le temps long après Papa, il faut que j’aille le voir,
je ne puis attendre plus longtemps.
Il vit la lettre de Papa sur la table et comprit.
J’appelai l’agence de voyages. Le prix du voyage aller-retour
s’élevait à 987$. Le voyage durait environ quarante heures et com-
prenait cinq escales : Labrador, Shannon, Paris, Rome, Athènes, et
enfin Tel Aviv. (Les Jets n’existaient pas encore en 1954).
On me signala un vol prévu pour fin juin. Je réservai aussitôt
ma place, sur le vol du 29 juin, pour un séjour d’un mois.
Nous avions la chance d’avoir des bons de guerre des Etats-
Unis que nous pouvions revendre pour payer le voyage. J’infor-
mai Papa de ma prochaine visite et sa réponse me parvint en un
temps record : « Je t’attends, ainsi qu’un bon pincement sur la
joue. Papa ».
Le fameux pincement ! Je me frottai la joue. Cela faisait telle-
ment partie de mon enfance ! Par principe, même lorsque nous
étions très petits, Papa ne se permettait jamais de nous embras-
ser. Mais il me montrait son affection, à moi qui étais sa cadette,
en me pinçant la joue, à tout bout de champ, lorsque j’étais par-
ticulièrement gentille, ou lorsqu’il prenait plaisir à l’un de mes
bons mots. Parfois le pincement laissait une marque sur ma joue
maigre. Je la portais comme un signe d’honneur.
Mes souvenirs d’enfance affleuraient, mais je les reléguai pour
le moment à l’arrière-plan. J’aurais assez le temps d’y penser pen-
dant le long voyage qui m’attendait.
Dans l’immédiat, je me plongeai dans une activité fébrile. Je
devais préparer Mashi et Yits’hak, nos deux plus jeunes enfants,
pour un camp de vacances (leur première expérience en dehors
de la maison). Il fallait faire les achats, coudre le nom des enfants
sur leurs vêtements, laver, repasser, mettre de l’antimite dans les
armoires, me faire vacciner, etc… Je préparai aussi, à l’avance,
les repas pour Moché et notre aîné Israël-Méir, qui devaient se
débrouiller seuls, pendant mon absence, avec un coup de main
de notre famille proche.