Page 25 - Extrait du livre Le Patron avant tout - Rou'hama Shain
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Le PATRON avant tout d 25
Si Papa se permettait d’être strict et sévère avec nous, Maman
était toujours là pour tempérer sa rigueur par sa présence chaleu-
reuse et sa bienveillance. Cependant, quelles que fussent les me-
sures de répression déployées par Papa pour nous éduquer dans
le chemin de la Thora, il se souciait à l’extrême de nos moindres
besoins qui passaient avant son commerce de fourrures et avant
toutes ses autres activités – excepté, bien sûr, ses obligations re-
ligieuses. Si bien que, malgré la crainte que j’éprouvais envers
Papa, lorsque j’étais petite, Papa m’inspirait un sentiment de
grande sécurité. J’avais la sensation profonde que Papa pouvait
me protéger de toutes les calamités imaginables.
Un jour de chabat, je souffrais d’un violent mal d’oreille.
Quand Papa revint de la choule, Maman lui confia son souci :
« Je ne sais plus quoi faire de Rou’hama, tant elle a mal ». Mes
sanglots résonnaient dans toute la maison.
Papa vint vers moi : « Rou’hama, pose ton oreille sur mon
talith, et allonge-toi. Ton mal va disparaître » affirma-t-il avec
conviction. Maman me borda dans mon lit avec l’oreille contre
le talith de Papa, et je m’endormis. A mon réveil, mon mal avait
disparu.
d
Par un jour d’hiver, lorsque j’avais six ans, j’eus de la fièvre et
j’étais entièrement couverte d’une éruption rouge. On appela le
Dr Bluestone qui déclara que c’était la scarlatine. Je devais gar-
der le lit et rester isolée pendant six semaines, parce que c’était
très contagieux. Le Docteur prescrivit un médicament pour faire
baisser la fièvre (il n’existait pas d’antibiotiques à cette époque).
Les tâches rouges me démangeaient affreusement. Maman faisait
particulièrement attention à ce que je ne me gratte pas. Lorsque,
la nuit, Papa relayait Maman auprès de moi, pour permettre à
Maman d’avoir un peu de répit, elle l’avertissait : « Yaacov-Yos-
sef, ne laisse pas Rou’hama se gratter le visage, ça peut laisser des
traces ». Je me vois encore couchée avec une forte fièvre, brûlant
d’envie de me gratter, et Papa me tenant doucement les mains
durant toute la nuit en me racontant, à demi-somnolent, des his-
toires de la Bible. Je guéris sans conserver la moindre de ces mau-
dites traces.