Page 32 - Extrait du livre Le Patron avant tout - Rou'hama Shain

32 d Le pincement sur la joue

voilà que Papa se précipita à la maison en agitant le journal du
mal portant le gros titre « Lindbergh a atterri en France ! »
Papa s’assit dans son fauteuil, retint son souffle et proclama :
« C’est un signe précurseur des temps messianiques où D. ras-
semblera les juifs du monde entier et les fera voler par-dessus les
océans vers Eretz-Israël comme il est dit, après la sortie d’Egypte,
(Ex. 19, 4) : « Je vous ai portés comme un aigle porte ses petits sur
ses ailes ». Il nous montra une photographie de l’avion : « cela ne
ressemble-t-il pas à un oiseau en vol ? »
J’examinai soigneusement la photo puis j’observai Papa, me
demandant s’il m’arriverait un jour de voler dans le ciel…

d
Maman m’a raconté que lorsqu’elle était fiancée à Papa, il
l’emmena un jour voir un match de boxe. Elle faillit s’évanouir.
Ce fut la première et la dernière fois qu’elle y alla et quant à Papa,
cet épisode atténua considérablement son enthousiasme pour ce
sport.

d
Un dimanche matin, Maman nous emmena, Davie, Bessie et
moi chez Grand’Maman Herman qui habitait Harlem. Nous ado-
rions y aller. Elle nous dorlotait et nous préparait toujours des
friandises spéciales.
Grand’Maman et Maman s’entendaient à merveille et bien que
Maman l’appelât « schwigger » (belle-mère), elles avaient plutôt
des relations de mère à fille. Au moment où nous descendîmes du
métro aérien pour rentrer à la maison, Davie traînait à l’arrière.
Tout à coup, il poussa un cri déchirant : sa veste s’était coincée
dans la porte du métro déjà en marche et Davie était ainsi traîné
par la rame le long du quai. Une seconde de plus et il aurait été
projeté dans la rue au-dessous de nous.
Maman poussa un cri d’alarme et nous nous mîmes à hurler,
Bessie et moi. Heureusement, le conducteur entendit nos cris et le
train s’arrêta instantanément. Davie était blanc comme un linge
et il tremblait de tout son corps. Maman le prit dans ses bras et
s’assit avec lui sur le banc le plus proche pour reprendre ses es-
prits.