Page 30 - Extrait du livre Le Patron avant tout - Rou'hama Shain
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30 d Le pincement sur la joue


Osna avait une véritable terreur de l’obscurité et paniquait
lorsque la lumière venait à s’éteindre, fût-ce un instant. « La main
noire va te saisir dans le noir » me disait-elle pour me mettre en
garde. Mais l’affirmation si souvent répétée par Papa, selon la-
quelle il ne faut craindre personne que le « Tout-Puissant », m’ins-
pirait un tel sentiment de sécurité que l’avertissement d’Osna ne
me faisait aucun effet.
Papa résolut de guérir Osna de cette angoisse, et à cette fin, il
mit en œuvre son meilleur talent de psychologue. Un dimanche
après-midi, Papa nous appela et nous ordonna de le suivre : nous
descendîmes docilement derrière lui à la cave.
Il ôta la barre de fer qui en fermait la lourde porte, et alluma
l’interrupteur. La cave baignait dans une lumière jaunâtre.
On y trouvait toutes nos affaires de Pessa’h, du matériel di-
vers, les planches de notre Soucca (cabane construite pour la fête
des Cabanes) et une échelle. Le fourneau à gaz et la table de Pes-
sa’h occupaient un mur. Les casseroles de Pessa’h, les poêles et la
vaisselle étaient rangés dans des cartons de différentes tailles, re-
couverts de grands draps. Il y avait une énorme malle vide dans
un coin.
« Osna », lui dit Papa, « tu vas toucher chaque objet et me
le nommer par son nom ». Osna se plia au jeu avec plaisir, se
précipitant vers chaque trésor qu’elle rencontrait au passage et
disant tout haut de quoi il s’agissait : « Ceci est une table, ceci
est un fourneau, voici des cartons, des planches, une échelle, une
malle ». Elle était ravie d’être l’objet d’attention de Papa.
Subitement, sans crier gare, Papa éteignit la lumière. La cave
fut plongée dans une obscurité totale. Osna poussa un cri, épou-
vantée. Papa la prit par la main et la conduisit devant tous ces
différents objets, de toutes formes et de toutes tailles, qui pa-
raissaient des monstres dans l’obscurité. « Attrape ceci » lui di-
sait Papa. Osna gémissait. Papa ralluma la lumière. A nouveau
la cave fut éclairée à profusion. « Regarde », disait Papa pour la
calmer, « il n’y a rien qui fasse peur ». A plusieurs reprises Papa
répéta le même geste jusqu’à ce qu’Osna eût palpé chaque objet
dans l’obscurité.
Je ne suis pas certaine que la « psychothérapie » de Papa réus-
sit à sevrer Osna de sa phobie, mais ce qui est sûr, c’est qu’avant
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