Page 28 - Extrait du livre Le Patron avant tout - Rou'hama Shain
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28 d Le pincement sur la joue


Cependant, Maman veillait au grain car Na’houm-David
était son préféré. A ses yeux, il ne pouvait faire de mal, et elle se
conformait à tous ses souhaits. Ce qui est surprenant, c’est que je
n’éprouvais pas la moindre jalousie lorsqu’il s’agissait de Davie
bien que je fusse le « bébé » de la famille. Il était tout naturel que
le ben ya’hid – le fils unique, fût un peu favorisé. J’aimais bien
par exemple la cuisse de poulet mais durant toute mon enfance,
toutes les fois que Davie était à la maison, la cuisse du poulet lui
revenait de droit. Cela me paraissait aller de soi.
Papa n’avait aucun mal à obtenir de ses filles d’arriver à l’heure
à l’école, même par les froides matinées d’hiver. Il rentrait dans
notre chambre, retirait les lourdes couettes de nos lits et les em-
portait hors de la chambre. Quatre filles grelottantes se ruaient
vers la cuisine pour se réchauffer auprès du fourneau flamboyant
que Maman avait déjà préparé pour nous.
La méthode répressive de Papa était toute spéciale : lorsque je
m’étais mal conduite, il m’emmenait dans ma chambre, prenait
son fouet et frappait lourdement les barreaux de mon lit. Bien que
le fouet frappât très loin de moi, je hurlais à chaque coup. Maman
écoutait derrière la porte et plaidait « Yaacov-Yossef, c’est assez,
laisse Rou’hama, elle sera gentille désormais ». Je me précipitais
hors de la chambre en poussant des cris hystériques, pour me
jeter dans les bras de Maman.
Cela ressemblait, en quelque sorte, à une pièce bien montée
que Papa et Maman jouaient à la perfection. Mais il faut dire que
j’avais rarement besoin d’un tel traitement. Un regard, que me
lançaient les yeux gris-acier de Papa, suffisait pour me rappeler
à l’ordre, ou même la seule menace de Maman « Je vais le dire à
Papa ».
Après nous être mal conduits, nous devions baiser la main de
Papa, pour montrer que nous acceptions sa réprimande.
Lorsque Papa rentrait à la maison, nous nous levions toujours.
Nous étions censés le faire également pour Maman, mais à moins
que Papa fût derrière notre dos, nous oubliions.
Une fois, pendant que je faisais mes devoirs, Papa vint subite-
ment par derrière et me frappa sévèrement la main. Je protestai
en pleurant. « Ce n’est pas Rou’hama que je voulais dire » cria
Maman, de la cuisine. Papa ne se démonta pas. « Sans doute
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